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Les vertus de la médiation animale

Quel que soit l'animal, les bienfaits de la présence des animaux ne cessent d'être révélés.




Article de "La Vie" de Tom Jakubowicz

Du 22/04/2024


Médiation scolaire : Ross, le chien câlin qui apaise les collégiens


La médiation plutôt que la sanction, c'est le pari fait par le lycée agricole d’Ahun (Creuse), qui a pris un chien « d’assistance à la réussite scolaire ». Une initiative que développe l’association Handi'chiens dans 14 collèges et lycées en France.


Jason, élève en formation de vente, est devenu peu à peu un des référents de Ross. Une belle relation s’est nouée entre les deux.

Couché sur son tapis devant le premier rang, Ross somnole. En entrant dans la salle de classe, le chien d’assistance à la réussite scolaire a reçu beaucoup d’attention et en a distribué autant aux élèves de seconde CCE (bac pro Conduite Culture Élevage) du lycée agricole d’Ahun, en Creuse. Comme l’indique une charte rédigée par les élèves eux-mêmes, le labrador a le droit de « faire sa vie » au bout de 5 min de cours.

Place à l’enseignement de zootechnie de Mme Pernot, qui n’a pas besoin de son assistant animal pour captiver les élèves sur les méthodes de conservation des semences de taureau. Pendant qu’un épisode de C’est pas sorcier sur l’insémination des vaches est diffusé, Ross reconstitue ses forces. Les garçons qui occupent le rang du milieu s’en amusent et le surnomment « le gros flemmard ».


Un chien « calme, voire très calme »

« La particularité de Ross est d’être calme, voire très calme… et c’était notre demande », soutient Sophie Zambelli, la conseillère principale d’éducation (CPE) de l’établissement creusois. Au moment où le lycée agricole d’Ahun dépose un dossier à l’association Handi’chiens, en 2021, en pleine crise du Covid, le climat scolaire n’a rien à voir avec la relative sérénité qui règne aujourd’hui.

Juliette Pernot, professeure de zootechnie, fait cours avec le chien endormi au pied du tableau.

« C’était la cata, pour les élèves comme pour leurs formateurs. C’étaient des larmes, des cris, de la colère. Certains se battaient entre eux », rapporte la proviseure, Valérie Ferreira Gomes, à propos d’une classe en particulier, les Sapver (CAP Services aux personnes et vente en espace rural). La direction du lycée fait alors le pari de la médiation plutôt que de la sanction.


« Il apaise, régule les émotions »

Le deal est simple : Handi’chiens prête l’animal au lycée qui prend en charge ses frais d’entretien. Mme Zambelli monte un projet d’accueil « extrêmement bordé », une exigence de l’association. « On veut s’assurer de l’importance du chien pour l’établissement, des conditions pour le bien-être de l’animal », détaille Florian Auffret, responsable de l’unité de formation des chiens d’assistance à Handi’chiens. Tout est prévu : les référents secondaires, le personnel à former, les cas de vacances, de maladie, voire le départ de Mme Zambelli, qui est la principale référente de Ross, qu’elle se charge d’accueillir au sein de sa famille.

Le chien débarque en mai 2022 dans la classe de Sapver et son effet se fait immédiatement ressentir. « Partout où il passe, il apaise, régule les émotions et responsabilise », souligne Mme Zambelli. Rapidement, il est mis à disposition du lycée et de l’internat.

L’emploi du temps de Ross. Sa mission a été définie afin de respecter ses limites et de veiller à son bien-être.

Cécile Mortier, accompagnante des élèves en situation de handicap (AESH) et ancienne soigneuse animalière, est bien placée pour constater les effets que le canidé a sur les élèves qu’elle accompagne. « J’ai un élève hyperactif. Quand j’amène Ross, au lieu de bavarder, il va caresser le chien et écouter. Pour des cas difficiles à gérer comme ça, c’est la seule solution, la punition ne sert à rien. »

Jason, un élève de cette classe, en est un autre exemple, tant Ross l’a transformé. « Jason, c’était une petite terreur, il tapait, il insultait, il voulait se faire remarquer, mais maintenant il est doux comme un agneau », observe Mme Pernot.


Un allié précieux pour l’infirmière

Lorsque l’on voit le jeune garçon d’allure frêle échanger regards et gestes tendres avec Ross, on l’imagine mal adopter un comportement violent. Le respect qu’il porte à l’animal semble avoir rejailli sur ses relations avec les adultes. « Il a un excellent rapport avec le chien, il le dirige très bien. Il m’a même accompagné sur un forum d’orientation avec Ross », témoigne, admirative, Sophie Zambelli. Il est l’un des trois élèves référents à avoir été formés aux 40 commandes que comprend le chien (se diriger quelque part, aboyer, se coucher, etc.), et il est celui qui s’y est le plus attaché. « Je le vois tous les jours, presque toutes les heures, à chaque intercours », affirme cet élève de seconde.

Une relation qui s’est cimentée lorsque Jason allait mal. « Un jour, il n’était pas bien, après une “embrouille” avec un prof. Il est allé à l’infirmerie et il s’est allongé sur le lit avec Ross ! Cela a été très efficace », se souvient Mme Zambelli. Mme Brun, l’infirmière, en a vu passer d’autres : « Une jeune qui avait une crise d’angoisse, en pleurs, n’arrivait plus à respirer, les poings serrés. Je n’arrivais plus à la calmer, j’ai fait appel à Ross. En 15 min, ça l’a calmée ».

Avec l’infirmière scolaire. Le chien aide parfois à calmer des crises d’angoisse ou un mal-être chez les enfants


Dans un lycée qui compte 370 élèves, Mme Brun a parfois plus d’une cinquantaine de visites par après-midi. Dans ces cas-là, Ross est un allié précieux. « Il y a de nombreux jeunes qui font de la dépression, ont des pensées suicidaires », souligne-t-elle.


Réduction du niveau de cortisol et du stress

Christophe Blanchard, maître de conférences en sciences de l’éducation à l’université Sorbonne Paris Nord-Paris XIII, constate que « de plus en plus de jeunes ne vont pas bien, ont des angoisses psychologiques ou subissent du harcèlement ». Son travail de recherche porte sur la médiation canine en milieu scolaire mais aussi dans l’armée, auprès de soldats en état de stress post-traumatique, et dans la justice, en accompagnement des victimes. Les points communs ? Un public « en situation de vulnérabilité », un besoin de « libérer la parole » et un « cadre institutionnel qui peut être pesant ».

Comment un chien peut-il concrètement renverser ces situations de détresse ? Premièrement, la présence d’un chien « permet de réduire le niveau de cortisol de l’élève, donc de stress. Cela régule le rythme cardiaque et permet de canaliser les émotions », explique Christophe Blanchard. Deuxièmement, elle « permet aux élèves de développer des capacités psychosociales, ce qui crée un climat plus apaisant sur le long terme. »

Florian Auffret insiste sur le rôle de facilitateur du chien d’assistance scolaire : « Il a été prouvé que lorsqu’on lit un livre devant un chien, on a une fluidité qu’on n’a pas autrement, car on est devant un être non jugeant. » Cette qualité permet aux « enfants de se sentir autorisés à dire ce qu’ils ressentent, par exemple, à se livrer sur des violences intrafamiliales ».


Un pouvoir d’empathie particulier

Cela tombe bien, Ross a une « empathie particulière » qui lui permet de détecter les personnes qui ressentent de la détresse : quand il va vers une personne et reste longtemps avec elle, c’est une alerte pour le personnel. « Le chien s’est mis sur les genoux d’un élève qui avait été abandonné par sa mère. C’est son sixième sens ! », s’émerveille encore Mme Zambelli.

Mme Pernot rappelle le profil particulier de ses élèves, dans un département ou une famille sur quatre vit au-dessous du seuil de pauvreté : certains ados ont déjà vécu « des choses très dures à 15 ans », ont eu l’expérience de l’échec scolaire, beaucoup sont angoissés par l’internat. « Ils font les durs, mais quand on creuse, ils ont des problèmes de confiance en eux, estime Mme Mortier, la seconde AESH du lycée. C’est pour ça qu’un animal apporte beaucoup, un bonheur, un amour inconditionnel qu’on ne trouve pas chez les humains. »

Ross est promené par des élèves dans la cour du lycée, à l’interclasse.

L’association Handi’chiens constate une accélération des demandes des établissements depuis 2020 et a conclu des partenariats avec 14 d’entre eux, du collège au lycée. Pour cette association spécialisée en premier lieu dans le handicap moteur, il s’agit d’une expérimentation qui vise à objectiver l’apport d’un chien dans la réussite scolaire.

Handi’chiens peut d’ores et déjà s’appuyer sur des résultats tangibles : le lycée de Mauléon, dans les Deux-Sèvres, premier à participer à l’expérimentation, n’a connu aucun cas de harcèlement en quatre ans. La preuve selon Florian Auffret que le « dispositif mérite d’être élargi ». Même si « ce n’est pas un chien qui va faire avoir 20 sur 20 à tout le monde, selon Mme Zambelli. Mais si cela ne sert qu’à un seul élève, ça vaut déjà le coup ».

 
 
 

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